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Histoires d'E

Voici deux nouvelles antagonistes en rapport avec le thème de l'énergie. Ces deux nouvelles ont été écrites par Florence Winteler, participante au projet CdERN

Un monde d'extrémistes

Résumés

Tout
Nuages et désillusion, des bidons-villes comme paysages. L'homme fonctionne, l'homme n'est plus qu'une machine qui cherche tant bien que mal à survivre, et la planète continue de mourir. C'est une agonie, mais le profit reste la logique dirigeante. La vie a un prix.

Rien
Le dénuement complet. Les gouvernements du monde entier ont pris la situation en main ; entre le franc climatique, les maisons à 18°C, et l'augmentation drastique des prix, le monde entier se ralentit et s'engourdit doucement, bercé par le froid de l'hiver, pour mieux renaître ?


Tout
2100. Le chaos. On ne voit plus le soleil, la fumée des usines et des coups de feu obscurcit le ciel toute la journée. Chaque soir, tout s'éteint. Le peu de lumière qui passait à travers les nuages s'en va, les ombres viennent chatouiller les dos peureux des humains qui se cachent en attendant le matin.
Tchang vit dans une chaleur étouffante au milieu des odeurs et de toute sa famille, avec qui il ne partage les quelques heures de sommeil et des regards angoissés. Tous les jours quand les oiseaux le réveillent, il part pour rejoindre à pied la grande propriété d'un chanceux milliardaire. Il sert d'homme à tout faire, comme des centaines d'autres. Le matin il s'occupe de la verte pelouse qui avale plus d'eau que tout son quartier, puis il aide à préparer le repas de midi et soupire en jetant à l'incinération des pelures de patates et des têtes de poulet qui pourraient sauver les milliers de mourants qui cherchent leur nourriture dans les poubelles à quelques pas de là. Mais lui aussi a faim, et il ne peut risquer de perdre les quelques cadeaux qu'on lui fait pour être là à jeter ces têtes à leur perte.
L'après-midi le jeune homme va dans le champ pour faire un peu de nettoyage, en effet les éoliennes du monsieur ont besoin d'huile et de soins. Si on avait parlé de champs à Tchang, il aurait peut-être aussi pensé à des champs de blé, et il savait qu'ils étaient utilisés pour produire un liquide qui faisait avancer l'automobile du monsieur. Très peu de gens avaient ces choses rapides.
Tchang avait vu des photos qui montraient le monde couvert d'automobiles et de lumières. Des étoiles partout sur la terre ! Même les voitures en avaient deux. Lui n'avait que la lueur de son maigre petit frère. Le passé restait un grand mystère. On lui avait bien parlé de siècles prospères et de puits d'où le pétrole jaillissait à flot, mais c'était des concepts bien abstraits, et il ne comprenait pas trop comment le monde aurait pu être autrement, et surtout comment on aurait pu le laisser changer ainsi. Il n'était même pas triste quand il lisait toutes ces histoires fantastiques sur les hommes qui pouvaient voler, il n'y croyait pas vraiment, c'était comme un conte de fée, comme un rêve, pas la vraie vie.
La réalité, elle, était racontée dans les journaux gratuits, les seuls qui avaient subsisté aux crises, les seuls que les gens avaient encore pu se permettre d' "acheter" alors qu'ils tombaient lentement dans la rue. Les pages lui parlaient de meurtres et d'orages, de gens qui voyaient la mer monter pour lâcher leur maison, de certains qui priaient alors qu'ils avaient les pieds dans l'eau, et du prix des collines qui augmentait. Il y avait aussi deux pages où de belles et grandes et blondes dames paradaient en robe longue et décolletée, et des dizaines où on essayait de le convaincre d'acheter des options pour diverses entreprises, mais tout l'argent que Tchang avait eu avait perdu toute sa valeur. Il gardait quand même les billets dans sa collection et leur souriait souvent, il les trouvait jolis.
On entendait parfois quelques mots émanant des éminents Messieurs de la Confédération, le gouvernement, qui parlaient de plans et de programmes en cours d'examination, et les scientifiques faisaient des études pour savoir ce qui allait se passer, mais les parents de Tchang lui avaient déjà dit que de toute façon c'était ses grands-parents qui auraient du agir. Tchang ne comprenait pas trop le regard parfois vide, sombre ou fâché qu'ils portaient lourdement sur leur visage.

Dans l'après-midi le petit Tchang effectue beaucoup de petits travaux et des courses entre la propriété et d'autres entreprises qui échangent dee pièces pour les éoliennes contre des " bons d'énergie ". Souvent alors qu'il fait le plus chaud il se met à pleuvoir. De l'eau s'effondre du ciel tous les jours, et le vent balaie les débris qui encombrent la planète. Des ouragans colériques s'abattent un peu partout, sans crier gare. Des gens meurent, et ceux qui survivent le font dans la peur. Souvent la lumière des lampes s'éteint sans prévenir, au milieu du jour, et alors tout le monde attend, en espèrant qu'elle reviendra.

Le soir Tchang entame enfin sa route pour rentrer alors que la lumière commence à être fatiguée. Il lui faudra plus de deux heures pour atteindre les yeux faibles de son petit frère qu'il serrera contre son coeur toute la sombre nuit. En chemin, l'oeil toujours aux aguets, il espère à chaque seconde trouver peut-être un nouvel habit pour changer celui qu'il porte depuis des mois, mais il est tard et Tchang doit finir son chemin en courant pour atteindre sa cabane de carton avant que le monde ne plonge dans l'invisible.


Rien
2100. Dans le ciel d'un gris bleuté s'attirent des nuages de coton tout transparents. Le monde se repose, c'est un dimanche matin et il reste au lit, comme après une longue maladie, il guérit doucement. Tchang habite dans la mégalopole miniature qu'a formée la Côte au milieu du 21e siècle. Toutes les villes qui bordaient le beau Lac Léman ont tellement grandit qu'elles se sont rapprochées jusqu'à entrer en collision, et ne former plus qu'une seule masse. Les gens ne bougent pas beaucoup à l'intérieur des quartiers de la ville, des trams et des métros sont en construction dans tous les sens, mais il faut toujours un temps extraordinaire entre l'idée et la réalisation du projet.
Tchang a seize ans et doit se trouver un travail proche de chez lui. Heureusement sa famille a la chance de posséder deux vélos, ce qui augmente son champ de recherche considérablement. Il ne peut pas perdre trop de temps en transport, il doit aussi aider à la maison.
Les gens passent beaucoup de temps chez eux, à arroser leur potager, à tricoter, à faire la cuisine, à planter des graines dans leur terre. Tout a été décentralisé, on vit dans sa maison ; les gouvernements accentuent leur politique sur l'effort individuel pour une progression collective. Les gens pourraient travailler comme par le passé, pour une grande entreprise à gros bénéfices, mais beaucoup ont remarqué qu'ils ne gagnaient pas assez d'argent, et qu'ils avaient meilleur temps de confectionner leur habits eux-même et de produire leur propre nourriture. Tout était devenu tellement cher, depuis que la main d'oeuvre venant de l'Est avait obtenu des meilleures conditions de travail. Une calamité !
Bien sûr il y avait toujours les grands magasins et les boutiques de vêtements de luxe et les multiples vendeurs de téléphonie mobile, mais la consommation sans besoin vital était devenue comme une interdiction morale, un gaspillage honteux, un tabou protégé par les regards noirs de la foule. Les vieux avaient senti le cataclysme les frôler et ébouriffer leurs cheveux ; les jeunes avaient leurs histoires et témoignages, et les innombrables films et livres, et séries et BD et cours qui traitaient de la menace sourde qui avait rendu le 21e siècle fou de discours, de promesses et de peurs, mais ils ne pourraient jamais vraiment comprendre. Tchang se souvenait des histoires au coin du feu quand on avait encore le droit de brûler du bois, et de sa grand-mère qui les racontait pendant que son grand-père préparait des biscuits de Noël. Les visages de ses grands-parents avaient disparu de la mémoire du petit Suisse. Il savait que ces visages ridés qui en avaient vu long étaient allés se retirer quelque part dans la montagne à quelques dizaines de kilomètres de là. C'était beaucoup trop loin, Tchang ne les reverrait probablement jamais, sauf s'il arrivait à économiser assez pour prendre le train, mais c'était hors de question pour l'instant, et il devait chercher un travail d'abord !
Cet argent, Tchang en avait besoin pour offrir une rose à une fille qu'il aimait tendrement depuis des années déjà. Il n'avait jamais osé le lui dire, et préférait le lui montrer. Seulement, les roses ne poussent pas en Suisse en janvier, et il fallait un bon petit tas d'or pour acquérir la perle rare née d'autres horizons.
Vers le milieu du siècle précédent, tous les experts perdaient espoir et disaient la planète condamnée. Les églises avaient trouvé une nouvelle jeunesse car les gens avaient besoin de croire, et les gouvernements avaient réagi ; on avait voté entre autres une taxe sur le pétrole, le franc climatique, et une loi pour que les maisons ne soient plus chauffées qu'à 18°C. On avait mis des pulls, et la voiture à la casse. Tous les pays du monde avaient adopté des normes strictes de contrôle de la pollution atmosphérique et d'économie d'énergie.
Rien ne se déplaçait comme avant, les gens restaient chez eux, près de ce qu'ils connaissaient.
Malgré toutes ces barrières, Tchang avait résolu de passer à l'action, il en avait marre d'attendre. Le jeune homme allait donc donner son temps pour payer ces taxes et faire amener la fleur précieuse par les airs. Il savait que l'argent n'allait pas compenser les dégâts que son avion ferait, et avait un peu honte d'essayer d'acheter son pardon, mais bon.
Plus tard de toute façon, il voulait être savant, il voulait être un de ces hommes qui passerait sa vie sous des lumières artificielles à chercher des miracles, pour sauver le monde. Ca rachéterait tout.

Au crépuscule, Tchang revient chez lui sans avoir rien trouvé, pas le moindre petit job, on ne cherche personne, tout le monde se débrouille très bien dans sa petite autarcie. Le soir Tchang doit encore laver son pantalon à la main ; parfois, il propose à ses parents épuisés de nettoyer un de leurs vêtements, mais cette nuit il n'a plus envie de rien. Il veut dormir et oublier. Tchang doit faire vite, surtout en hiver, il a froid les jambes nues, et son unique pantalon doit encore sècher. On n'achète plus des habits toutes les semaines. La main d'oeuvre des esclaves n'existe plus, ou pas assez, et tout est devenu très très cher. Le monde a été trop violemment secoué. Il n'a aps encore retrouvé l'équilibre.
Les jambes en cours de congélation, il ne sent plus grand chose, et s'assied dans l'herbe parsemée de neige gelée. Son esprit l'emmène vers des terres lointaines, voyages impossibles comme des rêves de fou.
Tchang se sent fatigué, de toute façon il n'osera jamais déclarer sa flamme, et la vie est comme un matin d'hiver, un peu fatiguée, un peu pâle et triste, un peu froide.
Le petit garçon s'étend doucement dabs l'herbe un peu fleurie de son jardin, et ferme les yeux.